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La crise de l'autorité dans l'éducation

Photo du rédacteur: Entrepreneur éducatifEntrepreneur éducatif

Dernière mise à jour : 2 avr. 2019


L’expression « crise d’autorité » fait désormais partie de notre quotidien et particulièrement dans le milieu de l’éducation. Le mot crise provient du latin crisis, manifestation grave d'une maladie, issu du grec krisis, décision, jugement. Autrement dit, une crise se caractérise par une conjonction de souffrances, contradictions, doutes ou incertitudes. La crise intervient en rupture d’équilibre entre le monde d’avant et le monde d’après. Elle devient par essence l’occasion d’un changement ou d’une rupture.


La longévité de cette crise qui n’aboutit pas sur un changement de paradigme peut et doit nous interroger. 


Les signes dans les écoles publiques ou privées sont les mêmes partout dans le monde : conflits élèves-professeurs, conflits entre parents et professeurs, violence, absentéisme scolaire, non-considération des exercices demandés, attitudes passives, découragement, baisse du niveau, sentiment d'injustice.


L'analyse de cette crise de l'autorité nécessiterait la rédaction de plusieurs billets pour être exhaustive. Aujourd'hui, c'est à cette notion d'équilibre entre nos deux mondes que nous nous intéresserons.


Hannah Arendt écrivait déjà dans son texte de 1958 intitulé « Qu'est-ce que l'autorité » (publié en français dans La crise de la culture) "En pratique, il en résulte que premièrement, il faudrait bien comprendre que le rôle de l’école est d'apprendre aux enfants ce qu'est le monde, et non pas leur inculquer l'art de vivre."

Étant donné que le monde est vieux, toujours plus vieux qu'eux, le fait d'apprendre est inévitablement tourné vers le passé, sans tenir compte de la proportion de notre vie qui sera consacrée au présent.(...). Deuxièmement, la ligne qui sépare les enfants des adultes devrait signifier qu'on ne peut ni éduquer les adultes, ni traiter les enfants comme de grandes personnes. Mais il ne faudrait jamais laisser cette ligne devenir un mur qui isole les enfants de la communauté des adultes, comme s'ils ne vivaient pas dans le même monde et comme si l'enfance était une phase autonome dans la vie d'un homme, et comme si l'enfant était un état humain autonome, capable de vivre selon des lois propres. (…) L'éducation est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité, et de plus, le sauver de cette ruine qui serait inévitable sans ce renouvellement et sans cette arrivée de jeunes et de nouveaux venus. "

 

Assumer la marche du monde

Assumer la responsabilité du monde, c’est tout d’abord le reconnaître comme tel. Non pas l’embellir, le dédouaner ou le taire, mais livrer sa réalité telle qu’elle est. Décrire la marche du monde et donner aux enfants des clés de compréhension pour assumer le présent et reconnaître notre responsabilité individuelle. Ne pas le faire reviendrait à : "C'est comme si chaque jour les parents, les éducateurs disaient : « En ce monde, même nous nous ne sommes pas en sécurité chez nous. Comment s'y mouvoir, que savoir, quel bagage acquérir, sont pour nous aussi des mystères. Vous devez essayer de faire de votre mieux pour vous en sortir. De toutes façons, vous n'avez pas de compte à nous demander. Nous sommes innocents, nous nous lavons les mains de votre sort. 1»


Scission des valeurs entre modèle de société et modèle d'éducation

Par ailleurs, il existe toujours dans nos modèles éducatifs une scission entre valeurs sociétales et valeurs portées par l’Ecole. Prenons un exemple, celui de notre société occidentale, dominée par l’individualisme et par la notion de plaisir immédiat. La réalité de ce monde-là va à l’encontre des valeurs de l’Ecole où on demande constamment aux enfants de contrôler leurs pulsions, de maîtriser leurs émotions et surtout de reconnaître que le travail est avant tout effort, et que, par conséquent l’apprentissage demande du travail. 


C’est ce que Stiegler nomme le « capitalisme pulsionnel » : "Les institutions familiales, l’éducation, l’école, les systèmes de soin, la sécurité sociale, les partis politiques, les corps intermédiaires : tous les outils du savoir sont systématiquement détruits par le capitalisme pulsionnel, le savoir-faire (les métiers, les techniques), le savoir-vivre (le comportement social, le sens commun), le savoir-penser (la théorisation de nos expériences). Tout cela a cédé face au goût vers la satisfaction immédiate, à la pulsion infantile égoïste et antisociale. Alors que le désir est le départ d’un investissement social. 2"


Pour autant, nous pouvons nous interroger sur les solutions à mettre en place pour aligner modèle de société et modèle pédagogique. Faut-il emprunter au champ du capitalisme pulsionnel, les techniques de neuro-marketing pour séduire les élèves ? Faut-il transformer le socle commun de compétences et de connaissances inscrit sur le long terme en socle de compétences immédiatement acquises ?

Ou plus simplement, ne faudrait-il pas mettre en "cabinet critique" les savoirs scolaires attendus pour les réadapter non pas seulement aux mécanismes d'apprentissage mais surtout à la notion de finalité de la connaissance. Ne pourrait-on pas regarder nos manuels et programmes pédagogiques comme des antiquités pour leur donner un sens nouveau ?


(Succession Marcel Duchamp / ADAGP / Agence photo de la RMN-GP / Christian Bahier / Philippe Mige.)

"C’est le problème le plus urgent, le plus fondamental, il faut montrer aux jeunes générations ce recyclage possible. Avec eux, on peut devenir beaucoup plus intelligents. L’intelligence n’est pas une compétence mentale ou neurologique, c’est une compétence sociale. Il faut reconstruire une intelligence intergénérationnelle, ça passe par la technique parce que aujourd’hui, ce qui fait les générations, ce sont les mutations technologiques. (…) Nous considérons qu’une nouvelle industrie est en train de se mettre en place, une industrie de la contribution. Nous pensons que cette industrie de la contribution, il faut la mettre en œuvre en développant une politique de recherche. Une politique éducative d’un genre tout à fait nouveau. Non pas en faisant une dixième réforme de l’Éducation nationale, d’une manière ridicule et administrative, non. En posant les problèmes comme ils doivent être posés. Réunissons des philosophes, des mathématiciens, des physiciens, des historiens, des anthropologues… Cela ne se fait pas du jour au lendemain, mais il faut mettre en place les travaux de ce qu’a fait Jules Ferry à l’époque. Il faut se donner du temps et savoir raisonner à deux temporalités différentes. Le court terme et le long terme. Et là, il faut effectivement développer des pratiques tout à fait nouvelles, de nouveaux médias. (…) Je compte plus sur les scientifiques, les artistes, les philosophes et tous au sens large : les profs, les juristes, les psychologues, les soignants, tous ceux qui prennent soin du monde. Nous avons tous besoin d’ouvrir une discussion avec la vie parce que plus rien ne se fera sans une volonté indépendante des pouvoirs. 2 "


Nous croyons également qu’il faut replacer le débat sur le sens du socle commun de compétences et connaissances à l’échelle des besoins d’aujourd’hui et de demain. Quelle culture historique, mathématique, littéraire est aujourd’hui nécessaire à un enfant pour s’épanouir ? Quelle histoire contemporaine lui livre-t-on pour comprendre les enjeux de migrations ou de révolutions auxquelles il sera confronté ? Comment lui assurer un socle de culture générale tout en actualisant sans cesse l’Histoire ? Quelles sont les instances qui permettent aujourd’hui de se pencher sur ce ping-pong nécessaire de connaissances entre passé et futur ?


"Au fond, on n'éduque jamais que pour un monde déjà hors de ses gonds ou sur le point d'en sortir, car c'est là le propre de la condition humaine que le monde soit créé par des mortels afin de leur servir de demeure pour un temps limité. Parce que le monde est fait par des mortels, il s'use et parce que ses habitants changent continuellement, il court le risque de devenir mortel comme eux. Pour préserver le monde de la mortalité de ses créateurs et de ses habitants, il faut constamment le remettre en place. Le problème est tout simplement d'éduquer de façon telle qu'une remise en place demeure effectivement possible, même si elle ne peut jamais être définitivement assurée.


Notre espoir réside toujours dans l'élément de nouveauté que chaque génération apporte avec elle ; mais c'est précisément parce que nous ne pouvons placer notre espoir qu'en lui que nous détruisons tout si nous essayons de canaliser cet élément nouveau pour que nous, les anciens, puissions décider de ce qu'il sera. 1"



1. « Qu'est-ce que l'autorité » (publié en français dans La crise de la culture) H. Arendt

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