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Partie 3 - L'histoire estivale de M.

Photo du rédacteur: Entrepreneur éducatifEntrepreneur éducatif


Récemment, nous avons fait une rencontre fabuleuse à Luko. Une histoire bouleversante et riche. Alors voilà, nous vous la partageons sans réserve. Pour connaître tous les détails de cette histoire, rejoignez la folle aventure estivale que nous vous proposons de vivre, pour, vous aussi, rencontrer M., mais aussi tirer de son parcours tous les outils pour transformer l'éducation.


Vous le verrez, les embûches que M. rencontre sur son parcours sont de taille, mais la manière dont elle va gérer ces défis vous laissera sans voix.


2 mois d'inspiration, d'introspection et de défi, c'est le pari fou que nous vous proposons de vivre avec nous.

 

M. avait mis plusieurs jours à se remettre de la phrase glaciale de sa cheffe. Le mot "nuisible" lui revenait sans cesse en tête. Elle entendait par ricochet les nombreuses phrases qu'elle avait pu entendre à son égard, lorsqu'elle était en CM2, de la part de sa maîtresse d'école qui lui rappelait sans cesse que ses bavardages étaient "nuisibles" à la classe et venait "détruire la stabilité du groupe".


Madame Jersey. "Elle s'appelait Madame Jersey, cette maîtresse. Elle me demandait régulièrement de me taire, d'être silencieuse. Une fois, elle m'avait fait remarquer alors que je revenais après une semaine de maladie, que "finalement, on a tous à y gagner lorsque tu es absente..."


Lorsqu'elle évoque Madame Jersey, la voix de M. tremble. La blessure d'enfant est encore là. Aussi vivante que les mains de M. qui joue nerveusement avec sa bague. La vivacité de ces mots d'enfants, ou plutôt d'adulte, rejouée dans les mots de cette cheffe que M. ne nomme pas, fige nos visages.


M. avait finalement décidé de revenir au travail et d'adopter l'attitude de ses collègues. De ne pas en parler. De prendre cette remarque comme un égarement. Elle n'en avait pas parlé à son mari, ni à ses amis. Elle s'était persuadée qu'elle avait deux options : considérer que cela pouvait avoir de l'importance et ruminer, ou considérer qu'elle avait le pouvoir de faire en sorte que cela ne l'atteigne pas. Autrement dit, M. se rendait responsable de devoir subir ou non les invectives de cette cheffe-sans-nom.

"Parce qu'à l'époque, j'étais persuadée que nous étions tous responsables de notre propre bonheur. Que nous pouvions décider d'influencer ou non notre cerveau. A ce moment-là, j'étais persuadée qu'on avait le choix de penser en noir et blanc, ou de penser en couleurs. Et malgré la difficulté, j'avais envie de rêver en couleurs. Je m'interdisais de ruminer, même si..."


Cette positivité d'esprit, c'était d'ailleurs une pratique en pleine expansion dans l'entreprise de M.

Les débuts de l'ère du "bonheur au travail", l"happycratie" comme on l'appellerait maintenant.

M. avait alors participé à un certain nombre de séminaires sur la manière d'être plus épanoui ou sur la possibilité de doper son cerveau émotionnel. L'entreprise avait décidé d'être à la pointe du bien-être au travail et regorgeait de nouvelles initiatives : panier de fruits chaque matin, petits-déjeuners partagés chaque lundi, obligation de devoir raconter des évènements/faits positifs à chaque début de réunion. L'engouement était vif. Les journaux citaient en exemple cette entreprise modèle qui faisait du bonheur au travail une priorité.


M. se sentait désarçonnée. Prise entre cette exigence de devenir inspirante et enthousiaste, et les remarques que sa cheffe lui assénaient. Les phrases assassines de cette dernière étaient devenues quotidiennes, posées là, en même temps qu'un dossier ou qu'une invitation à prendre un café dans l'open-space.


M. se renfermait. Au travail comme à la maison, elle arborait un sourire de façade. "Voilà, c'est ça. Il fallait faire face. Personne n'avait l'air de trouver cette double exigence schizophrénique. Personne n'en parlait. Alors je gardais la tête haute, valorisant mes "aptitudes et talents". C'est ce qui était attendu de moi, à chaque réunion. Que je devienne la meilleure version de moi-même. Cela a encore duré deux ans. Je crois que si j'ai pu résister aussi longtemps, c'est que d'une façon ou d'une autre, j'étais anesthésiée."



***

La leçon de vie de M.

M. tire de cette période un fort sentiment de dégoût : devenir la meilleure version de soi-même l'a profondément interrogée sur l'ambition d'une société qui souhaite tout évaluer et contrôler. Depuis lors, elle se questionne sur la possibilité d'un changement là où l'exigence de devenir parfait, enthousiaste et heureux crée un sentiment de culpabilité permanent à celui qui n'y parvient pas.



Le point de vue des sciences humaines

Dans son livre Happycratie. Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies (Premier Parallèle), coécrit avec le docteur en psychologie Edgar Cabanas, la sociologue Eva Illouz dénonce "l’injonction qui nous est lancée d’être heureux, et le rapprochement, dans lequel nous baignons, entre plénitude et normalité. Selon cette logique, les insatisfaits seront regardés comme des incapables. L’euphorie à tout prix s’accompagne de l’hyperculpabilisation de ceux qui ne l’atteignent pas. A nous de développer notre capital de bonheur puisque ce dernier sommeille en nous, n’attend que nos efforts pour éclore, et que l’éprouver résulte d’un choix. Cette fable, explique Happycratie, anesthésie la souffrance sociale et les reproches qu’une population peut adresser à l’Etat et au non-partage des richesses. De nombreux bénéficiaires profitent d’une telle vision du monde : les auteurs de guides de développement personnel, leurs éditeurs, les comportementalistes, le coaching, mais aussi le management paternaliste qui lie joie sur le lieu de travail, et accomplissement personnel."


Il en ressort une éternelle remise en cause comme le dit le philosophe allemand Axel Honneth, « l’image de soi dépend de la possibilité d’être continuellement validée par les autres ».

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