Récemment, nous avons fait une rencontre fabuleuse à Luko. Une histoire bouleversante et riche. Alors voilà, nous vous la partageons sans réserve. Pour connaître tous les détails de cette histoire, rejoignez la folle aventure estivale que nous vous proposons de vivre, pour, vous aussi, rencontrer M., mais aussi tirer de son parcours tous les outils pour transformer l'éducation.
Vous le verrez, les embûches que M. rencontre sur son parcours sont de taille, mais la manière dont elle va gérer ces défis vous laissera sans voix.
M. finit par démissionner. Elle n'eut pas réellement le choix. Il en allait de sa survie mentale, morale. Elle démissionna sans la moindre idée de ce qu'elle allait faire. Elle avait simplement besoin de souffler et de retrouver l'envie de se lever le matin.
Mais très vite, les premiers mois cumulés de chômage l'avaient rendue impuissante. Elle s'était rapidement lassée des demandes ou des remarques compatissantes de ses amis. A la question de son avenir, elle répondait qu'elle était toujours en recherche, qu'elle avait quelques pistes. Chacun y allait alors de son petit conseil, qui la laissait souvent sans voix. Les encouragements sincères de son entourage la mettaient au ban d'une société qui travaille. Et par la même occasion d'une normalité. Elle ne savait que répondre à la banale question "Quoi de neuf ?". M., comme toute chômeuse, subissait les remarques venimeuses sans être mesquines de ses amis "Désolé, je suis fatigué ce soir. Trop de travail sans doute. Tu verras quand tu reprendras."
L'accumulation de ces petites phrases assassines dans son quotidien désert avait eu raison de son enthousiasme.
Pour autant, M. nous confia qu'elle aimait cette ambivalence de ne pas connaître son avenir et la simple possibilité de contempler le présent. "J’aimais cette agitation poétique dont je ne faisais plus partie. J'étais malgré tout heureuse d’être extraite de la vie qui court sans cesse. Des obligations, du métro, des horaires, des mails qui ne font que se rajouter à un quotidien déjà trop chargé. J’aimais avoir le temps de longer ces rues, ces ponts où je me perdais dans l’immensité de la Seine. J’y regardais les coureurs courir, les marcheurs marcher et se faire parfois dépasser par la longue et gracieuse traversée des cygnes. Mon rapport au temps est devenu différent. Mon rapport à la productivité s'est teinté d'angoisse, mais aussi de liberté."
Durant tous ces mois de réflexion et d'errance, c'est également la colère que M. a vu apparaître. "Je ne savais plus qui j'étais, où j'allais et avec qui. Je n'étais plus rien d’autre qu’un numéro de demandeur d’emploi sur les chiffres d’une France en désarroi d’activité. Mes diplômes, certes maigres, ne servaient qu’à venir temporiser ces quelques années que séparent l’adolescence du marché de l’emploi. Et moi, je n'étais plus rien. Qu’une âme perdue qui ne demandait plus qu’à exister par le faire et pouvoir répondre à cette question simple « Et toi, tu fais quoi ? »."
M. reprend son souffle. "Je croyais être pourtant au-dessus de tout ce déterminisme social. Que j'étais au-delà du faire. Mais je me suis rendue compte que la société, l'éducation toute entière m'avait conditionnée à être par le faire. Et j'étais totalement incapable de m'en affranchir."
M. reprend son souffle, arbore un sourire qui illumine son visage et nous dit "mais ça, c'était avant...je suis tellement heureuse d'avoir passé ce cap de l'entrepreneuriat éducatif. J'ai hâte de vous le raconter."
***
La leçon de vie de M.
M. s'est sentie progressivement invisible, disparaître, aux yeux de la société. Peu à peu, elle a été exclue des conversations, des lieux de sociabilisation. Alors elle s'est mise à remarquer les autres "exclus"autour d'elle : chômeurs, retraités, sans papier. Dans ses longues réflexions méditatives, elle s'interrogeait sur le sens de la valeur : si je n'ai pas de valeur économique, est-ce que je perds toute forme de valeur aux yeux des autres ?Et puis, sur le travail : "à la question "tu fais quoi dans la vie ?" j'avais envie de répondre "je me promène, je lis, je dessine", mais je percevais bien que tout cela ne rentrait pas dans la case "travail", dans l'imaginaire des gens. Ce qu'ils attendaient c'était, en fait, un emploi."
Le point de vue des sciences humaines
Jacques Ellul (philosophe, XXe s.), explique dans L'Idéologie du travail comment le travail a été imposé comme valeur morale nouvelle au XVIIIe siècle, afin de servir la croissance économique. Ainsi, alors que le travail prenait une place croissante dans la vie des travailleurs, l'idéologie dominante en est progressivement venue à affirmer "le Travail c'est la Liberté".
Dans l'extrait suivant, Ellul détaille les conséquences que cette idéologie a eu, par répercussion, sur les "exclus" du travail."Tout d’abord nous sommes une société qui a mis progressivement tout le monde au travail. Le rentier, comme auparavant le Noble ou le Moine tous deux des oisifs, devient un personnage ignoble vers la fin du XIXème. Seul le travailleur est digne du nom d’homme. Et à l’école on met l’enfant au travail, comme jamais dans aucune civilisation on n’a fait travailler les enfants (je ne parle pas de l’atroce travail industriel ou minier des enfants au XIXème, qui était accidentel et lié non pas à la valeur du travail mais au système capitaliste). Et l’autre conséquence actuellement sensible : on ne voit pas ce que serait la vie d’un homme qui ne travaillerait pas. Le chômeur, même s’il recevait une indemnité suffisante, reste désaxé et comme déshonoré par l’absence d’activité sociale rétribuée. Le loisir trop prolongé est troublant, assorti de mauvaise conscience. Et il faut encore penser aux nombreux « drames de la retraite ». Le retraité se sent frustré du principal. Sa vie n’a plus de productivité, de légitimation : il ne sert plus à rien. C’est un sentiment très répandu qui provient uniquement du fait que l’idéologie a convaincu l’homme que la seule utilisation normale de la vie était le travail."
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