Qu'est-ce qu'un tiers-lieu ?
Récemment, le 110bis écrivait dans Medium "Les tiers-lieux, comme en témoigne le récent rapport de Patrick Lévy-Waitz qui en recense plus de 1800 en France, sont devenus un vrai enjeu de politique publique. Appropriés par des communautés de leur territoire, les tiers-lieux proposent un environnement propice à la sérendipité, à l’émergence de projets, à la production et à la diffusion de savoirs. En cela, ils constituent de véritables dispositifs d’aide à la dynamisation des territoires, au développement de services en réponse à des besoins locaux et au renforcement des liens sociaux."
Pourquoi un tiers-lieu éducatif ?
Le pédagogue Philippe Meirieu a identifié un certain nombre de thèses pour lesquelles la création de tiers-lieux est nécessaire. Parmi elles, nous relèverons :
"-La société a besoin d'individus aux convictions fortes. Ils sont les vecteurs du progrès. Il faut des lieux où on se préoccupe de l'acquisition des convictions.
-Il existe dans la société plusieurs institutions et divers lieux qui contribuent à l'éducation des jeunes. Cette pluralité est un fait, et elle est justifiée en droit. Demander à l'école d'être responsable du tout de l'éducation, c'est la surcharger inutilement. Hors de leur famille et de leur école, les jeunes ont besoin d'un troisième lieu.
-Des dangers menacent le passage des jeunes à l'âge adulte : le repli communautariste, la domination d'une doctrine officielle ou d'un « politiquement correct » trop souvent véhiculé par les grands médias, la marchandisation des loisirs.
-La nécessité de l'éducation n'a jamais été aussi vivement ressentie. A l'appui de ce second constat, on citera comme témoins : les parents, qui souhaitent être aidés pour répondre aux conséquences de la démocratisation des collèges et des lycées, les enseignants, de plus en plus convaincus que l'éducation est un pré-requis de l'enseignement des disciplines, alors que tout apprentissage est éducatif."
Que s'est-il passé au sein du tiers-lieu éducatif des Petits Plus ?
Nous avons créé l'association des Petits Plus, à Lyon, en 2016, avec l'intime conviction qu'il fallait réinventer à la fois les codes de l'éducation, mais aussi le modèle économique de ce type de structures.
Nous avons eu la chance de nous implanter au sein de l'Hévéa, tiers-lieu dédié à l'innovation sociale et au développement durable composé d'une boulangerie-traiteur bio, local, d'un espace de coworking et de bureaux partagés pour entrepreneurs sociaux.
Au rez-de-chaussée, nous y avons implanté notre tiers-lieu éducatif : école maternelle, centre de loisirs, centre de formations.
L'éducation tout au long de la vie
Comme l’explique Jean-Baptiste Labrune dans son article tiers-lieux apprenants,: « à la différence d’espaces institutionnels ritualisés et structurés selon des principes de verticalité, les tiers lieux ont permis le développement de pratiques informelles, interdisciplinaires, centrées sur le faire par soi-même (DIY), l’apprendre par le faire (learning-by-doing) et l’éducation tout au long de la vie (lifelong learning).
Dans un tiers-lieu, on apprend sur et par soi-même (savoir-être), on apprend de l’interaction avec d’autres (savoir-vivre), on affine des compétences précises et spécialisées (savoir-faire) et on devient petit à petit la mémoire et l’esprit du lieu, en situation de le garder vivant (savoir-transmettre) ».
Nous avons donc décidé de mener de front la création d'une école maternelle (Ministère de l'Education Nationale), d'un centre de loisirs (Ministère des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative), un centre de formation, ainsi que des activités connexes (coworking parental, un accueil périscolaire et des évènements de soutien à la parentalité). Nous avons défriché, tenté de comprendre les subtilités de chaque demande d'agrément auprès des différents ministères de tutelle, testé différents modèles économiques et avons systématiquement consigné toutes ces informations dans un Manuel de gestion ainsi que des fiches-outils (savoir-transmettre) afin que les futures équipes de gestion puissent s'en saisir.
Un programme pédagogique basé sur la co-éducation
Nous avons développé un programme pédagogique hybride basé sur une complémentarité entre Reggio Emilia et Montessori, entre projets collectifs et apprentissage individuel. Faire en sorte que chaque éducateur trouve sa place dans ce modèle de co-éducation ne fut pas toujours simple, mais nous avons beaucoup appris et capitalisé sur cet apprentissage (savoir-être et savoir-transmettre).
Le laboratoire d'innovation sociale (savoir-faire et savoir-transmettre)
Nous avons également mis sur pied un laboratoire d'innovation sociale avec les enfants, en lien avec certains entrepreneurs sociaux de l'Hévéa. Nous nous sommes appuyés sur la méthodologie Design for change, que nous avions au préalable expérimenté à l'école-source en Inde, à Ahmedabad. Ce fut l'occasion de développer des séquences pédagogiques autour de la thématique de la préservation des ressources (eau). Les enfants ont par exemple tant pu expérimenter ce qu'est l'hydroponie grâce à l'intervention des Pousses d'or, que réaliser des coquelicots pour l'opération "Nous voulons des coquelicots" lancée par Charlie Hebdo.
Ouverture sur le quartier
Un partenariat avec La Commune, tiers-lieu dédié à la restauration, pour la création d'un jardin potager, nous a amené à créer un partenariat avec l'EHPAD des Girondines, afin de permettre un lien inter-générationnel, autour de la thématique de la cuisine.
Le modèle économique et la mixité sociale (accessibilité)
Nous avons souhaité réinventer le modèle économique des écoles alternatives en proposant une tarification indexée sur le quotient familial (de 0€ à 475€ par mois, sur 6 niveaux) + une bourse solidaire de 30€/mois. Ce modèle économique repose sur une complémentarité de services : périscolaire, club vacances, club du mercredi, location de l'espace, etc. Nous ne dépendons d'aucun financement.
Gouvernance, savoir-être et savoir-vivre
La gouvernance associative fut le point difficile du modèle des Petits Plus. Définir la zone de liberté et de prise de décision de chacun constitua sans nul doute le travail le plus intense, pour permettre à chacun de trouver sa place : bénéficiaires, usagers, conseil d'administration, équipe pédagogique. Ces pierres sur notre parcours nous ont néanmoins permis, dès la première année, de réaffirmer notre socle de valeurs : co-éducation, liberté pédagogique, dialogue pédagogique, mixité sociale.
De ces difficultés et avec un socle de valeurs retranscrit dans un manifeste, nous avons aujourd'hui complètement ouvert les vannes puisque nous sommes organisés en mode collégial sans président ou trésorier. Les neuf membres du Collège sont co-président, co-trésorier et toutes les décisions stratégiques concernant la vie de l'association sont votées.